Derrière la flamboyance européenne du candidat Macron, un quinquennat tout en continuité.
Christophe Bouillaud
23 Février 2022
L’engagement pro-européen d’Emmanuel Macron était l’un des marqueurs de sa campagne de 2017. Sa présidence a-t-elle donné un nouveau souffle au projet européen ? Pas sûr du tout, selon Christophe Bouillaud.
Lors de sa campagne électorale de 2016-2017, Emmanuel Macron s’est très clairement positionné comme un candidat pro-européen. Il s’est aussi affirmé « progressiste ». Cela ne veut pas dire qu’il n’ait pas exprimé son lot de critiques et de propositions à l’égard des politiques de l’Union européenne (UE), mais il n’a jamais remis en cause de quelque façon que ce soit cette dernière comme le cadre pour ainsi dire naturel de toute politique future de la France. Cet aspect était alors d’autant plus saillant que, lors de cette campagne 2016-17, ses principaux concurrents pour accéder au second tour (François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) affirment eux une distance plus marquée vis-à-vis des politiques de l’UE, voire mettent en cause l’appartenance de la France à la zone Euro, ou même le cadre de l’UE elle-même, alors même que le seul ralliement partisan à sa candidature proviendra du MODEM (Mouvement démocrate) de François Bayrou, héritier français de la tradition démocrate-chrétienne pro-européenne.
Ce choix de l’Europe se confirmera dans un certain nombre de discours tenus lors de ses deux premières années de mandat. Il correspondra aussi à la campagne de la majorité présidentielle lors des élections européennes de mai 2019. Cette dernière sera présentée par le Président Macron et ses alliés du MODEM comme la lutte pour la suprématie dans l’électorat français entre l’option pro-européenne qu’ils représentent et celle, nationaliste, que le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national (RN), incarnerait. Le fait que la liste « Renaissance » de la majorité présidentielle n’ait été que légèrement devancée en voix par celle du RN (22,4% contre 23,3%) a alors été présenté par la majorité présidentielle comme une confirmation de l’appui du peuple français aux options pro-européennes du Président Macron. Cette «victoire » a ensuite été exploitée au niveau du Parlement européen en obtenant de changer le nom du groupe libéral au Parlement européen en un groupe « Renew Europe » auxquels les vingt-trois élus macronistes français se sont affiliés.
La continuité des choix français
Cependant, au-delà de cette flamboyante façade d’européisme militant, la Présidence Macron a-t-elle marqué un changement en matière de politique européenne de la France ? En réalité, en examinant les politiques publiques une à une, c’est bien plutôt la continuité des choix français qui frappe. Ainsi, en matière de défense européenne, la Présidence Macron fut encore celle, comme celle de ses prédécesseurs, du long plaidoyer, plus ou moins suivi d’effets, pour une identité européenne de défense. Cela a pu correspondre aussi bien à la volonté de bâtir un « complexe militaro-industriel » européen (par exemple avec la mise en route du « Fonds européen de défense » sur le budget européen pluriannuel 2021-2027, évoqué dès 2016 par Jean-Claude Juncker, alors Président de la Commission européenne) que d’impliquer d’autres armées européennes dans les opérations extérieures menées par la France dans les pays du Sahel pour lutter contre le djihadisme (création de la « Task Force Takuba » à compter du printemps 2020).
De même en matière économique et sociale, la France d’Emmanuel Macron a poursuivi les buts désormais habituels du pays en la matière, en cherchant à limiter la concurrence des pays à bas salaires présents dans l’Union et à préserver la base fiscale de l’Etat français. La mise en œuvre du Brexit a pu ainsi apparaître comme une chance à saisir pour renforcer la vision française de l’Europe comme plus bien plus qu’un « grand marché ». La crise économique liée à la lutte contre la pandémie de Covid-19 a été aussi l’occasion pour la France d’Emmanuel Macron de faire avancer le « fédéralisme budgétaire » de l’Union européenne qui est considéré de longue date par les élites françaises pro-européennes, depuis Jacques Delors dans les années 1990, comme le moyen nécessaire de pérenniser la zone Euro.
L’habituelle hypocrisie française
Pour les observateurs extérieurs, au-delà de cette poursuite d’une plus grande intégration européenne, qui constitue une constance des élites gouvernementales françaises depuis les années 1970, la Présidence Macron fut aussi celle du constat de l’habituelle hypocrisie française. Ainsi en matière migratoire, il n’était que trop facile que de constater le hiatus entre la critique portée à l’encontre de certains pays refusant de se plier à la règle européenne d’accueil de réfugiés (Hongrie, Pologne en particulier) et la pratique française visant à minimiser en pratique l’arrivée de réfugiés sur le sol hexagonal. De même, l’insistance de la France « macroniste » pour inclure le nucléaire dans la « taxonomie verte » européenne [il s’agit d’une classification officielle par l’Union européenne des investissements entre ceux qui ralentissent le changement climatique et ceux qui l’accélèrent, destinée en particulier à influencer les choix des investisseurs], telle que proposée par la Commission européenne en 2022, en coordination avec l’Allemagne obtenant de son côté l’inclusion du gaz naturel, n’a pas manqué de faire réagir certains partenaires européens (comme l’Autriche). Au-delà de cette défense publique des intérêts français, certains observateurs ont fait remarquer qu’en sous-main, il arrivait, soit au gouvernement français, soit aux élus français du groupe Renew d’œuvrer plus discrètement à la défense d’intérêts économiques français (bancaires par exemple) dans le cadre européen en contradiction avec le discours porté par ailleurs.
Plus profondément, E. Macron reste à ce jour un intrus au sein du camp libéral européen. En effet, son parti, « La République en marche » (LREM), n’est pas membre du parti européen des libéraux, l’Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe (ALDE). Surtout, les partis les plus importants de l’ALDE, comme les libéraux allemands du FDP, demeurent très majoritairement pour une vision austéritaire, telle que définie dans le Traité de Maastricht, de la gestion macro-économique de la zone Euro. Or cette dernière, si elle était appliquée pleinement en France, représenterait un risque majeur de récession profonde de l’économie française (comme l’a connue l’Italie en 2011-2013 sous le gouvernement Monti).
Le legs du quinquennat
Pour conclure, il faut ajouter que le Président Macron, s’il est réélu, risque fort de se trouver face à un legs encombrant de son premier mandat. En effet, pour relancer l’intégration européenne, E. Macron avait proposé dans sa campagne électorale de 2016-2017 et dans ses premiers discours comme Président des conventions citoyennes sur l’Union européenne. Cette idée a été reprise et validée en mars 2021 par une Déclaration commune de la Commission européenne, du Conseil européen, et du Parlement européen qui crée une « Conférence sur l’avenir de l’Europe » (CoFoE) destinée à recueillir les avis des citoyens dans les 27 pays de l’Union. Tenue largement en ligne sur Internet, elle doit rendre ses conclusions au printemps 2022 pendant la Présidence française de l’Union européenne (PFUE).
Si ces dernières faisaient apparaître la nécessité d’une réforme des Traités, et si un tel processus était engagé par les Etats (avec une Conférence Intergouvernementale), la ratification par la France de ces changements institutionnels, quels qu’ils soient par ailleurs, poserait sans doute problème. Il n’est pas sûr qu’un référendum soit plus facile à gagner pour les forces pro-européennes à l’avenir que cela ne le fut en 2005. La vie politique française reste en effet marquée par la puissance de forces politiques à la droite ou à la gauche de l’échiquier qui défendent une vision différente de celle qu’incarne le « macronisme » en continuité avec plus d’un demi-siècle d’intégration européenne.