La présidentielle, jour après jour



La crise des parrainages.

Raul Magni-Berton , Corentin Poyet
05 Mars 2022


Les candidats à la présidentielle, en France, ont besoin de 500 parrainages. De quoi s’agit-il, comment les obtient-on ? Qui peut parrainer et qui le fait effectivement ? Est-ce que le système défavorise certains candidats aux dépens d’autres ? Voilà quelques questions auxquelles Raul Magni-Berton et Corentin Poyet répondent dans ce billet.

La France est le seul pays européen avec un président élu où il n’est pas prévu de « parrainages citoyens » et où seuls les élus, locaux, nationaux ou européens, ont ce droit. A titre indicatif, l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, pour ne citer que l’Europe occidentale, disposent de ce moyen pour valider une candidature dans leur élection présidentielle. De plus, dans ces pays, nous observons une tendance croissante au recours aux parrainages citoyens avec des effets positifs pour les candidats concernés. Ainsi, les actuels présidents finlandais, polonais et autrichiens, par exemple, ont enregistré une candidature sans étiquette ; ce qui n’empêche pas le soutien plus ou moins formel d’une formation partisane.

L’une des raisons de cette spécificité française réside dans le nombre incroyablement élevé d’élus. La France a plus de communes que l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest réunis, si bien que ses 35.000 maires constituent presque 80% des ayant droit des parrainages. La grande majorité des communes est rurale, de telle façon que la grande majorité des maires ne sont pas des professionnels de la politiques. Ils sont, en somme, presque des « citoyens ».

Les maires parrainent peu

Ce système pourrait fonctionner plutôt bien si les maires utilisaient ce droit. Pourtant, en 2017, les maires étaient 73% à s’abstenir de parrainer un candidat. Le record d’abstention des citoyens aux élections régionales et départementales de 2021, en pleine pandémie, est de 67%. L’abstention des maires est donc bien plus grande que celle des électeurs.

Cela constitue un vrai problème. Sans les parrainages des maires, en 2017, les électeurs auraient dû se contenter de choisir entre quatre candidats, parmi lesquels ne figurait pas Marine Le Pen, pourtant qualifiée pour le deuxième tour. Compte tenu du fait que les autres élus parrainent la candidature du parti auquel ils appartiennent, les maires sont les seuls qui sont capables de faire émerger une candidature nouvelle, et donc des idées nouvelles. Ils permettent aux électeurs d’avoir un large choix et ceux qui rendent une élection présidentielle plus compétitive.

Bien sûr, l’idée sous-jacente au principe du parrainage d’élu n’est pas de multiplier les candidatures. Elle consiste plutôt en un devoir d’examiner toutes les candidatures qui leur parviennent et se poser la question, en conscience, lesquelles pourraient dynamiser notre démocratie et aider nos concitoyens à se réconcilier avec les urnes tout en agissant comme rempart contre les candidatures farfelues pouvant délégitimer l’élection. Comme l’a souligné le président du Sénat, Gérard Larcher, “parrainer n’est pas soutenir”. Parrainer est offrir aux électeurs un choix.

Parrainer a un coût

Pourtant, si les maires s’abstiennent autant de parrainer, ce n’est pas seulement parce qu’ils manquent de sens civique. En dehors du sentiment du devoir accompli, pour la plupart des maires, parrainer un candidat n’apporte aucun avantage, ni personnel, ni à sa commune. En revanche, il peut entraîner des coûts. Déjà au sein de la commune : certains des administrés peuvent se sentir heurtés que leur maire choisisse de soutenir telle ou telle candidature avec laquelle ils ne sont pas d’accord. Mais aussi, un parrainage peut nuire à la commune elle-même.

Avec les différentes réformes territoriales, les communes ont perdu beaucoup de fonds propres et toute capacité à lever l’impôt. Elles sont plus que jamais dépendantes de l’intercommunalité, des préfectures, de la région et du gouvernement. Dans beaucoup de cas, il n’y a guère besoin de rétorsion : une simple marque de désapprobation par le président de l’intercommunalité ou le préfet peut inhiber les maires dont le premier devoir est de prendre soin de leur commune.

Ce problème s’est aggravé avec la publicité des parrainages. Désormais, le parrainage peut être sanctionné ou récompensé. Si le vote était public, l’abstention grimperait mécaniquement de peur d’une sanction de collègues, employeurs, familles ou amis. Les maires sont comme tout le monde : les réformes territoriales et la levée de l’anonymat ont rendu nos maires craintifs, et réticents à accomplir le devoir qui est le leur.

Ceci pourrait devenir d’autant plus problématique que la polarisation du discours politique tend à s’accentuer, en France comme ailleurs, et encourage l’émergence de potentiels candidats en-dehors des circuits habituels du recrutement politique. Ces candidats, pourtant légitimés par une partie significative de la population, risquent de se heurter à l’écueil des parrainages en raison de leur personnalité clivante et des éventuelles conséquences pour les possibles parrains. Alors même que le but des parrainages est de légitimer l’élection, l’effet inverse pourrait être observé : une offre politique qui ne correspond pas ou plus à la demande.

Un avenir incertain

Nos indicateurs soulignent depuis des années une crise de légitimité de notre démocratie. Cette crise est due à plein de petites évolutions, invisibles pour la plupart des personnes, mais dont l’impact peut être considérable. Les communes ont perdu leur importance, si bien que nous assistons ces dernières années à des records de démissions des maires. Les fusions de municipalités ainsi que le recours aux intercommunalités institué par la loi NOTRe en 2015 retire de nombreuses compétences des mains des maires et encourage une certaine professionnalisation de la politique locale. Ces deux processus pourraient entraîner des conséquences sur la viabilité de certaines candidatures et donc avoir un effet considérable sur l’offre électorale. Nos institutions font des maires des agents de changement et de dynamisme démocratique. Réduire leur pouvoir signifie réduire la qualité de notre démocratie.