La présidentielle, jour après jour



La conjoncture économique est-elle suceptible de favoriser Emmanuel Macron?

Alexandra Jabbour
7 Mars 2022


L’économie est un souvent le principal enjeu déterminant le résultat d’une élection. Alexandra Jabbour explique que le lien entre économie et vote n’a rien d’automatique. Les perceptions peuvent être biaisées et l’information imparfaite.

Le vote économique est une des théories les plus utilisées dans le cadre des études électorales lorsqu’il s’agit d’expliquer, comprendre ou même anticiper les résultats des élections. Le principe est assez simple et intuitif : lorsque l’économie se porte bien, les électeurs vont récompenser le sortant en votant pour lui/elle. A l’inverse, lorsque l’économie est défaillante, les électeurs vont utiliser leur bulletin de vote pour punir le sortant en optant pour un(e) autre candidat(e).

Ce mécanisme, assez simple, voyage plutôt bien dans l’espace et le temps car on le retrouve dans de nombreuses démocraties établies comme en atteste la Figure 1 ci-après. Cette dernière montre la corrélation entre un indicateur économique, ici la croissance du PIB mesurée un an avant l’élection suivant la littérature, ainsi qu’un indicateur électoral qui est la part des votes reçus par le Gouvernement sortant lors des élections législatives dans 29 pays et 273 élections.

Figure 1: Corrélation entre le pourcentage de votes obtenu par le sortant lors des élections législatives et le taux de croissance du PIB un an avant l’élection (t-1)

Notes: Données électorales de Parlgov, données économiques de la World Bank. Cercle rouge : France.

Si cette relation entre indicateur économique et votes obtenus par le sortant est souvent corrélée, elle reste imparfaite car elle repose sur l’hypothèse que les électeurs sont non seulement rationnels (Downs 1957) mais aussi correctement informés de l’état de l’économie (voir de Vries and Giger 2014).

Rationnels car ils voteraient en fonction d’un bilan et de façon objective. Et informés car ils auraient connaissance des données objectives portant sur l’économie de leur pays. Ces deux éléments sont pourtant rarement partagés par les électeurs dont les opinions sont influencées par de nombreux biais.

Figure 2: Corrélation entre estimation du taux de chômage et satisfaction avec l’économie en France en 2008

Notes: Données : ESS 2008

La Figure 2 illustre les limites quant à la connaissance des données objectives par les répondants. Elle montre la corrélation entre estimation du taux de chômage et satisfaction avec l’économie. Les données sont tirées du European Social Survey, qui en 2008, avait demandé à ses répondants de donner une estimation du taux de chômage dans leur pays. Les résultats présentés portent essentiellement sur l’estimation des répondants Français. On peut voir dans un premier temps qu’une bonne partie des répondants estimait que le taux de chômage se trouvait entre 5 et 14 %. Ce qui est exact puisqu’en 2008 le taux de chômage était de 7.4% en France métropolitaine, et ce d’après l’INSEE.

Cependant on note une part non négligeable d’individus qui vont s’éloigner très largement du taux de chômage national, et donc mal l’estimer. Or, comme le montre cette même figure, l’estimation du taux de chômage est corrélée avec la satisfaction concernant l’état de l’économie, elle-même déterminante du choix de vote. Les répondants qui surévaluent le taux de chômage ont une tendance à être très insatisfaits de la situation économique de leur pays.

C’est en raison de ce caractère imparfait des connaissances économiques que des chercheurs se sont penchés sur la façon dont les électeurs forment leur perception de l’économie.

L’un des biais les plus répandus concerne la partisannerie. Les partisans du parti au gouvernement vont avoir tendance à évaluer positivement l’économie, tandis que les opposants vont eux avoir tendance à noircir le bilan du sortant ou bien diminuer la responsabilité de ce dernier (Bisgaard 2015).

Les biais partisans sont une explication à laquelle s’ajoute celle de la vie quotidienne, du vécu des électeurs. On parle alors des effets contextuels (milieu de vie, réseau social) sur les opinions. Ainsi, les individus peuvent tout simplement percevoir l’économie en fonction de leur expérience personnelle de l’économie locale (Ansolabehere et al. 2014). La fermeture des commerces, des services ou encore la situation du marché immobilier (Larsen et al. 2019) sont autant d’indices qu’un électeur peut mobiliser pour former son opinion sur l’état de l’économie.

Cette opinion peut être également influencée par le réseau social (Newman et al. 2015). Si l’on revient à la Figure 2, les individus qui ont surévalué le taux de chômage sont peut-être davantage entourés de personnes sans activité, ce qui pourrait en partie biaiser leur estimation. On sait aussi que l’opinion des électeurs sur l’état de l’économie est fortement corrélée au taux de chômage dans leur quartier, dans les 80 mètres autour du lieu d’habitation (Bisgaard et al. 2016). Plus on s’éloigne du lieu de résidence, moins le taux de chômage est corrélé à la perception de l’économie. Cela laisse supposer que les électeurs s’appuient sur leur quotidien pour former leurs opinions, notamment sur l’économie.

L’élection de 2022 se déroule dans un contexte économique favorable au gouvernement sortant si l’on s’en tient aux indicateurs traditionnels que sont la croissance, le taux de chômage ou encore la création d’emplois. Mais pour bien comprendre le rôle de l’économie dans le cadre de l’élection, l’étude du vécu des électeurs, soit le changement dans leur localité (chômage, fermeture des commerces ou de services de proximité suite à la pandémie), leur réseau social ou encore leur propre bien-être seront autant d’éléments susceptibles d’influencer leur perception du bilan du sortant.

Références

Ansolabehere, Stephen, Marc Meredith, and Erik Snowberg. 2014. “Mecro-economic voting: Local information and micro-perceptions of the macro-economy.” Economics & Politics 26 (3): 380–410.

Bisgaard, Martin 2015. Bias Will Find a Way: Economic Perceptions, Attributions of Blame, and Partisan-Motivated Reasoning during Crisis. Journal of Politics 77 no. 3.

Bisgaard, Martin, Kim Mannemar Sønderskov, and Peter Thisted Dinesen. 2016. “Reconsidering the neigh- borhood effect: Does exposure to residential unemployment influence voters’ perceptions of the national economy?” Journal of Politics 78 (3): 719–732.

De Vries, Catherine E., and Nathalie Giger. 2014. “Holding governments accountable? Individual heterogeneity in performance voting.” European Journal of Political Research 53.2 : 345-362.

Downs, Anthony. 1957. An economic theory of democracy. New York: Harper & Row

Larsen, M. V., Hjorth, F., Dinesen, P. T., & Sønderskov, K. M. 2019. When do citizens respond politically to the local economy? Evidence from registry data on local housing markets. American Political Science Review, 113(2), 499-516.

Newman, Benjamin J, Yamil Velez, Todd K Hartman, and Alexa Bankert. 2015. “Are citizens “receiving the treatment”? Assessing a key link in contextual theories of public opinion and political behavior.” Political Psychology 36 (1): 123–131.