La présidentielle, jour après jour



Pourquoi la droite est-elle en si mauvais état ?

Emilien Houard-Vial
14 Mars 2022


Si la gauche semble très mal en point, pendant cette campagne, la droite, qui semble, pourtant avoir le vent en poupe, est engagée dans une guerre interne, qui diminue ses chances de succès. Emilien Houard-Vial revient sur les raisons de cette mauvaise conjoncture, alors que la situation est plutôt favorable à la droite.

La droite française semble n’avoir jamais été aussi mal en point. Après avoir perdu de manière inattendue l’élection présidentielle de 2017 et réalisé le piteux score de 8,48% aux élections européennes de 2019, elle s’apprête vraisemblablement à rater une deuxième fois la qualification pour le second tour – sa candidate, Valérie Pécresse, tournant autour des 12% (voir l’agrégateur de sondages de Poliverse).

La situation est paradoxale, car elle semble n’avoir jamais été aussi favorable à la droite. Les thèmes qui lui sont chers – l’immigration, la sécurité, l’identité, la place de l’Etat dans l’économie, la baisse des impôts – n’ont jamais autant fait l’actualité. La gauche cumule à peine un quart des intentions de vote tous partis confondus, et le parti au pouvoir, celui d’Emmanuel Macron, a plutôt porté à l’agenda des réformes de droite durant le quinquennat qui vient de s’écouler. Les idées de droite paraissent donc dominer le débat public, et les électeurs de droite sont a priori moins enclins que ceux de gauche à s’abstenir aux prochaines élections. Pourtant, la droite de gouvernement, essentiellement représentée par Les Républicains, semble incapable d’en profiter.

Il est tentant de chercher à expliquer cette situation simplement en fonction d’événements survenus ces derniers mois, voire ces dernières années : la candidature inattendue d’Eric Zemmour, le meeting raté du Zénith de Paris le 13 février dernier, l’affaire Pénélope Fillon ou encore le manque de loyauté de certains élus de droite. Si tous ont évidemment participé à contrarier le destin de la droite, il faut constater d’une part que la situation française est loin d’être exceptionnelle, et d’autre part qu’elle possède des causes structurelles, de long-terme.

Les droites européennes en mauvaise posture

Un peu partout en Europe occidentale, les droites modérées connaissent des temps difficiles. En Espagne par exemple, le Parti Populaire, à tendance conservatrice, est passé lors des élections générales d’avril 2019 sous la barre des 20%, alors qu’il récoltait encore 45% des voix en 2011. En Suisse, le Parti Libéral-Radical, héritier des deux grands partis des débuts de la démocratie helvétique, n’a réuni que 15% des suffrages lors des électons fédérales de 2019. En Allemagne, la CDU-CSU, alliance démocrate-chrétienne, dont les scores ont tourné autour des 45% pendant toute la seconde moitié du XXe siècle, a connu un plus bas historique l’an dernier en ne récoltant que 24% des voix et en cédant la chancellerie aux sociaux-démocrates après 16 ans de gouvernements Merkel. Enfin, en Italie, le parti libéral Forza Italia, de Silvio Berlusconi, qui avait gouverné pendant près de 10 ans durant les trois dernières décennies, atteignant jusqu’à 38% des voix à lui seul, plafonne aujourd’hui autour des 8% d’intentions de vote.

La situation française est donc loin d’être unique. Même au niveau européen, le Parti Populaire Européen, dont fait aujourd’hui partie Les Républicains et qui a pu regrouper jusqu’à 37% des eurodéputés en 1999, n’en accueille plus que 24%. En agrégeant les résultats électoraux de 21 démocraties occidentales, les politistes Noam Gidron et Daniel Ziblatt ont même pu identifier que le score moyen de la droite modérée avait perdu 10 points entre le début des années 60 et le milieu des années 2010 (d’environ 37% à 27%). A chaque fois, les coupables sont les mêmes : des partis de droite plus radicaux, voire même parfois extrémistes, qui captent une partie significative de l’électorat de droite – Vox en Espagne, l’Union démocratique du centre en Suisse, l’Alternative pour l’Allemagne, la Ligue et Frères d’Italie, et bien sûr le Rassemblement national et maintenant Reconquête ! d’Eric Zemmour. S’y rajoutent parfois des partis plus centristes, anciens ou nouveaux, captant l’électorat de droite le plus modéré : Ciudadanos en Espagne, le Parti libéral-démocrate en Allemagne et évidemment La République en Marche.

Comment la droite française en est-elle arrivée là ?

Si Les Républicains, héritier direct de l’UMP et encore avant des partis gaullistes et post-gaullistes, a semblé s’effondrer brutalement en 2017, on peut surtout penser que les évènements de cette année-là n’ont fait que précipiter une situation déjà largement fragilisée. Le parti pratiquait en effet déjà le « en même temps » sans le dire, tentant de concilier à la fois les électeurs traditionnels de la droite et du centre-droit, et les électeurs partis à l’extrême droite. C’est notamment l’œuvre de la « droite décomplexée », portée par Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé ou encore Laurent Wauquiez en leur temps, visant à se rapprocher du discours voire des idées du parti lepéniste. Si cette stratégie a pu fonctionner à court terme, comme lors de la campagne de 2007, il s’est en fait avéré qu’elle participait surtout à légitimer les idées radicales et extrémistes, et par ricochet le parti qui les porte le plus ouvertement, à savoir le RN, anciennement FN.

Prolongée malgré tout, y compris lors du congrès de l’automne 2021 pour déterminer le candidat LR à l’élection présidentielle, cette approche a contribué à rendre de plus en plus d’électeurs de droite sensibles au discours frontiste, tout en suscitant l’inquiétude des électeurs les plus modérés quant au risque d’alliance entre droite et extrême droite. Favorisé par ailleurs par le système français dit « bipolaire » qui garantissait une alternance régulière entre le pôle de droite et celui de gauche, LR n’a pas véritablement cherché à renouveler son idéologie pour offrir un projet politique véritablement mobilisateur, ni à résoudre ses problèmes d’image, liés notamment à ses affaires. Il en résulte la situation actuelle, dans laquelle nombre d’électeurs sont partis plus ou moins récemment soit au centre, à l’image des cadres et des retraités, soit à l’extrême droite, à l’image des artisans et commerçants. Ne sachant plus précisément où elle se situe idéologiquement ni à quels électeurs s’adresser, la droite apparaît logiquement en grande difficulté dans les intentions de vote, et pourrait bien voir sa survie compromise en cas d’échec cuisant aux prochaines échéances électorales.

Références

T. Bale & C. Rovira Kaltwasser (dir.), Riding the Populist Wave. Europe’s Mainstream Right in Crisis, Cambridge University Press, Cambridge, 300p.

Haegel, Florence (2012). Les droites en fusion : transformations de l’UMP, Presses de Sciences Po, Paris, 344p.

Houard-Vial, Emilien (2022). « La France de droite » in A. Bristielle (dir.), Que veulent les Français ? L’opinion publique dans tous ses états, Editions de l’Aube, Paris, pp.111-124

Gidron, Noam & Ziblatt, Daniel (2019). « Center-Right Political Parties in Advanced Democracies », Annual Review of Political Science 22, p. 19

Gombin, Joël (2012). « Idiots utiles de Marine Le Pen et Patrick Buisson ? », tribune publiée sur lemonde.fr, disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/15/idiots-utiles-de-marine-le-pen-et-patrick-buisson_1718830_3232.html

Carvalho, Joao (2019). « Mainstream Party Strategies Toward Extreme Right Parties: The French 2007 and 2012 Presidential Elections », Government and Opposition 54(2), pp. 365-386