Les candidats à la présidentielle copient-ils les programmes de leurs concurrents ?
Isabelle Guinaudeau
,
Emiliano Grossman
22 Mars 2022
Depuis le début de la campagne présidentielle, les candidats se reprochent régulièrement de se voler les propositions. En réalité, comme le montrent Isabelle Guinaudeau et Emiliano Grossman dans ce billet, la reprise des propositions des concurrents est monnaie courante. Et ce n'est pas uniquement le signe d'un manque de créativité. Dans le cadre d'un nouveau partenariat, ce billet est co-publié par Poliverse et The Conversation.
Eric Zemmour ne cesse de reprocher à Valérie Pécresse de « le copier ». La candidate Les Républicains (LR) quant à elle estime que tous les candidats sauf Philippe Poutou puisent dans ses idées et que le programme présenté le 17 mars par Emmanuel Macron (LREM) n’est qu’une « pâle copie » du sien.
Éternelle reconnaissance à Philippe Poutou qui est à ce jour le seul candidat à ne pas avoir pompé ses propositions dans le projet défendu par @vpecresse.
— Pécresse 2022 🇫🇷 (@avecValerie) March 14, 2022
Preuve que nous avons le meilleur projet ! #Pécresse2022 https://t.co/Vhq9x3FtXV
Dans l’imaginaire collectif, les partis sont supposés défendre des positions et porter des priorités différentes. L’originalité des propositions représente un critère important de jugement des programmes. Lorsque l’on constate une convergence, c’est généralement pour la dénoncer, par exemple lorsque les responsables du Front national parlaient de « l’UMPS » pour railler un manque de distinction présumé entre l’UMP (ancêtre de LR) et le Parti socialiste (PS).
Cette attente renvoie à une vision de la démocratie où les élections mettent les électeurs en position de trancher entre les alternatives soumises au vote – et ainsi de décider de la direction que doit prendre leur pays. Une vision que les partis et les candidats endossent dans leurs programmes qui se présentent comme une prise sur le cours des choses. Anne Hidalgo (PS), par exemple déclare au début de son projet présidentiel : « L’élection présidentielle de 2022 va trancher une grande question : quelle France voulons-nous ? »
Les théories de la compétition partisane ont, elles aussi, tendance à postuler des identités partisanes marquées et des affinités fortes entre certains partis et certains enjeux supposés définir leur stratégie de campagne. Ainsi, chaque parti mènerait campagne sur ses propres thèmes de prédilection – les écologistes sur la protection de l’environnement, l’extrême droite sur l’immigration, la gauche sur les questions sociales, etc. Les travaux sur la propriété des enjeux indiquent clairement que les partis et leurs candidats ont intérêt à tirer la campagne sur des enjeux différents.
Des candidats très attentifs aux propositions de leurs concurrents
Les travaux empiriques disponibles dans différents pays (notamment au Danemark ici et là ou encore aux États-Unis) ne confirment pourtant pas cette hypothèse.
Les programmes présentés pour une même élection ont tendance à se recouper énormément dans leurs enjeux.
Ceux des différents candidats en lice pour la présidentielle française 2022, par exemple, accordent tous des niveaux d’attention élevé à l’énergie, l’immigration ou la fiscalité. Les recoupements entre programmes sont également manifestes quand on regarde plus finement les enjeux mis en avant en lien avec chaque sujet : construction de nouveaux EPR, âge légal de vote, PMA, santé féminine, droits de formation, etc.
Ces convergences programmatiques sont loin d’être nouvelles. Lors d’un débat télévisé, le 20 mars 2017, Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise) avait par exemple interpellé plusieurs candidats sur leurs intentions quant aux demandes de relever l’Allocation adulte handicapé (AAH). Seul François Fillon (LR) ne s’était pas rangé à la proposition comme le rapportent Pierre-Yves Baudot, et Marie-Victoire Bouquet dans leur chapitre « L’enjeu et le mouvement. Comment les acteurs du handicap ont structuré l’organisation d’En marche » dans L’entreprise Macron en 2019 (PUG).
Outre cette mesure, Emmanuel Macron avait intégré à son programme de 2017 des mesures initialement formulées par la gauche – instaurer un pourcentage obligatoire de produits biologiques dans les cantines scolaires, doublement du nombre de maisons de santé – comme par la droite – l’adoption d’un Buy European Act ou la hausse du nombre de forces de l’ordre par exemple.
De nouveau, le programme présenté par Emmanuel Macron la semaine dernière puise dans les propositions de ses concurrents, notamment à droite (activité d’intérêt général exigées des titulaires du RSA par exemple), mais pas seulement, comme l’illustrent les annonces sur les déserts médicaux, les énergies renouvelables ou l’égalité professionnelle hommes-femmes.
Convergence des enjeux, divergence des positions ?
La convergence semble être un résultat assez régulier de la compétition partisane. Les dossiers qui émergent dans ce processus se caractérisent, pour la plupart, par un caractère non-conflictuel.
Il s’agit, pour beaucoup, de mesures qu’une majorité de citoyens s’accorderait à identifier comme prioritaires et légitimes : la hausse du minimum vieillesse, les politiques de soutien aux aidants familiaux ou la réduction de la fracture numérique. Certaines reprises se font toutefois seulement au sein d’un bloc politique, comme en 2022 la création d’un ministère des droits de plein exercice dédié aux droits des femmes, promise uniquement par des candidats de gauche, tandis que la demande d’une activité d’intérêt général aux titulaires de minima sociaux ne circule qu’à droite.
Les thèmes les plus visibles dans la campagne sont ceux qui sont abordés par tous, mais avec des positions (parfois diamétralement) opposées. En 2022, c’est par exemple le cas de l’imposition des grandes fortunes, que plusieurs candidats de gauche souhaitent rétablir en revenant sur la réforme opérée par Emmanuel Macron en 2017 alors que plusieurs candidats de droite proposent au contraire de l’alléger en retirant la résidence principale de la base pour le calcul. D’autres dossiers divisent l’ensemble des candidats, que ce soient par exemple le logement social ou les critères pour être naturalisé français.
Et les sujets propres à un candidat au sens où il est le seul à en parler ? En fin de compte, ces propositions restent généralement marginales d’un point de vue électoral. Il s’agit plutôt de propositions lancées dans l’intention d’orienter le débat, mais qui sont tombées à plat, n’ayant pas été reprises par des concurrents. Ainsi, en 2022, la proposition de Jean-Luc Mélenchon d’introduire une 6ᵉ semaine de congés payés n’a sans doute pas eu l’écho escompté.
De même, la promesse d’Éric Zemmour d’abolir la loi Pleven de 1972, qui avait créé le délit d’injure raciste, « pour donner un nouvel oxygène à la liberté de parole en France » n’a pas trop fait parler d’elle parmi les autres candidats ou dans les médias.
Un problème démocratique ?
La convergence sur les enjeux est donc la règle et les similitudes entre programmes sont nombreuses en termes de priorités, voire de propositions substantielles. Ce phénomène est-il le symptôme d’un problématique manque de pluralisme ? Voire une trahison démocratique ? La réponse est plutôt non. Il serait étrange que chacun des nombreux candidats en lice ait une vision radicalement différente des priorités pour le nouvel exécutif. Les recoupements résultent d’une perception partagée des problèmes, des mobilisations ou de l’actualité. Et même les pratiques consistant à reprendre des propositions électoralement porteuses prônées par un rival peuvent être vues comme un signe de compétition politique plutôt que de collusion.
Par ailleurs, ce mécanisme rend possible une influence indirecte des perdants sur les politiques publiques menées par le vainqueur. Ainsi, plusieurs des mesures qu’Emmanuel Macron s’était appropriées en 2017 ont ainsi été au moins partiellement mises en œuvre : l’AAH a été augmentée dans des proportions proches de ce qui avait été promis, le nombre de maisons de santé et de policiers ont bien connu la hausse annoncée.
À condition que le débat public permette l’émergence et la diffusion d’un grand nombre de propositions, couvrant le plus d’enjeux possible et tous les secteurs de la société, le mécanisme de la convergence des enjeux semble de nature à modérer le fonctionnement souvent très majoritaire des institutions de la Ve République.
Cet article est publié en partenariat avec The Conversation sous licence Creative Commons.