Présidentielle : l’enseignement supérieur fait-il débat ?
Julien Gossa
06 Avril 2022
L’enseignement supérieur a beau ne pas être un grand marqueur des campagnes électorales, il n’en est pas moins au cœur de réformes d’envergure et de débats de plus en plus polarisés. Julien Gossa revient sur l’ampleur des réformes en cours, le rôle des universitaires dans la campagne, les propositions et les clivages qui ont émergé.
L’enseignement supérieur et la recherche (ESR) ne font traditionnellement pas partie des grands sujets de campagne électorale, le sujet étant jugé trop corporatiste ou technique pour faire un bon débat. La présidentielle 2022 ne déroge pas à ce constat. Au moins peut-on énumérer les informations disponibles sur les programmes et essayer de trouver une boussole, puis s’interroger sur le rythme des réformes et sur ce que nous avons peut-être raté.
Du côté des informations disponibles, nous avons bien les « propositions » attendues des organisations comme France Universités (ex-Conférence des présidents d’université, qui réclame plus de moyens) et Udice (Association des 10 universités IDEX, qui réclame des moyens plus différenciés entre les universités), ou de syndicats comme le SNESUP ou le SGEN-CFDT.
Propositions et programmes
D’autres organisations ont directement interpellé les candidats, comme La CGT INRAE ou l’Association française pour l’information scientifique (l’AFIS), mais pour recevoir peu de réponses, parfois sans rapport avec les questions posées. D’un autre côté, des groupes assument publiquement de ne pas traiter de l’élection, comme Academia ou RogueESR, malgré son travail de collectes de 50 propositions auprès de la communauté ESR.
Au travers de tribunes, des personnalités s’expriment également, comme Antoine Petit, président du CNRS, pour encourager la transformation du CNRS en « agence de programmes » « élitiste », ou l’économiste Philippe Aghion pour proposer « un revenu universel de formation », qui pourrait ressembler à un chèque éducation.
Le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon est celui qui semble recevoir le plus de soutiens publics collectifs de la communauté ESR, avec les tribunes de 160 économistes et de 800 universitaires. Un texte de soutien a été également ouvert à signature pour M. Roussel, candidat du Parti communiste.
Concernant les autres candidatures, il ne semble pas y avoir de soutien collectif à recenser. Le soutien public à la majorité actuelle est sans doute rendu difficile par les polémiques, avec des universitaires accusés dans les médias de « casser la république en deux », taxés de « complicité intellectuelle du terrorisme », complétées par une enquête demandée par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Cette offensive politique, qui dure depuis maintenant un an, marque profondément les universitaires.
Du côté des analyses universitaires, en sus de l’initiative lancée par Poliverse.fr, on peut également trouver une analyse lexicographique des programmes. Du côté de la presse spécialisée, L’Etudiant a constitué un dossier et NewsTank a collecté les propositions des conférences, syndicats et réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche aux candidats et organisé un débat.
L’AEF a ouvert son comparateur de programmes : à droite, on trouve la poursuite des politiques engagées depuis 15 ans et davantage de différenciation des établissements, carrières et parcours de formation ; à gauche, on trouve un réinvestissement public et la volonté d’abaisser la tension sur les places de formation et les postes d’enseignants et de chercheurs. C’est sans surprise.
Une boussole : l’apprentissage
Bien que peu discuté, l’apprentissage émerge comme un sujet clivant, pouvant servir de boussole électorale. Propulsé notamment par la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » puis le plan « #1jeune1solution » avec une aide spéciale le rendant pratiquement gratuit pour l’employeur la première année, l’apprentissage décolle brutalement : on se dirige vers un triplement de l’alternance dans le supérieur en quelques années seulement.
D’après le rapport annuel de la Cour de comptes, cette aide spéciale, initialement prévue de 1,2Md€, a déjà coûté plus de 5Md€ (de quoi doubler le nombre d’enseignants-chercheurs) pour un « effet net sur l’emploi en volume […] vraisemblablement faible ».
Si la gauche est prudente sur le sujet, tous les candidats de droite affirment vouloir pérenniser et renforcer ce dispositif, présenté comme un moyen de combattre le chômage des jeunes. Emmanuel Macron est allé jusqu’à glisser qu’il pourrait être ouvert dès 12 ans avant de démentir.
En réalité, et tout à fait indépendamment de ses véritables vertus pédagogiques, l’apprentissage n’est pas tant un outil de réduction du chômage qu’un outil d’orientation des jeunes et de transformation des universités : en conditionnant les places à l’approbation d’une entreprise, il permet de structurer l’offre de formation selon « le marché de l’emploi ».
On pourrait donc être face à la naissance d’un alter ego du Crédit d’impôt recherche (CIR), mais pour la formation : coûteux, difficile à modérer, et dont l’efficacité est impossible à prouver. Mais nous sommes surtout face à deux visions de plus en plus clivées de la formation : structurée par les jeunes d’un côté, et structurée par l’économie de l’autre.
Le rythme de réforme de l’éducation
Le droit de l’éducation a été codifié en 2000, et sa partie législative comptait 761 articles. Un tiers de ces articles ont été modifiés, ajoutés ou supprimés durant la deuxième présidence de M. Chirac, puis de nouveau un tiers durant celle de M. Sarkozy, plus de la moitié sous M. Hollande, et enfin plus de 60 % durant le mandat de M. Macron. Malgré l’annonce faite en début de mandat, la partie législative du code de l’éducation compte maintenant plus de 1000 articles.
Si cette quantification nécessite une expertise juridique complémentaire et doit donc être prise avec beaucoup de précautions, elle conduit cependant à s’interroger sur le rythme des réformes et ce qui ressemble à une accélération.
En effet, l’éducation est un processus particulièrement long : 15 ans séparent l’entrée en maternelle du baccalauréat, et il faut ajouter au moins 5 ans de plus pour un Master, soit au moins 20 ans. Ainsi, la loi pour une école de la confiance, adoptée en 2019, impactera l’enseignement supérieur aux alentours de 2030 et la première vague durera jusqu’en 2040.
Après des décennies de réforme, désormais ressentie comme permanente, le programme le plus raisonnable pourrait être de s’abstenir de toutes nouvelles transformations, pour laisser un temps de stabilisation au système éducatif… L’absence de réforme, toute sensée qu’elle soit, fait malheureusement un programme électoral très pauvre.
Une Université en stagnation éducative ?
L’Université française actuelle a été conçue et structurée à la fin des années 1960, avec pour mission centrale de porter la massification ou démocratisation, c’est-à-dire de supporter la montée globale en qualification et formation de la population. Ainsi, alors que, à la fin des années 1960, 5 % des jeunes disposaient d’un diplôme supérieur au baccalauréat, ils sont pratiquement une moitié aujourd’hui, deux tiers si on compte le baccalauréat et 80 % si on compte CAP et BEP.
Mais cette montée semble avoir atteint un point d’orgue : la proportion de bacheliers généraux stagne depuis le milieu des années 1990, et celle des diplômés du supérieur se stabilise depuis lors. L’augmentation du nombre de candidats aux portes des masters, portée seulement par la démographie, inquiète le gouvernement qui cherche maintenant des solutions pour limiter le nombre de diplômés à Bac+5.
Il est donc possible que, comme la plupart des pays occidentaux, nous soyons entrés en stagnation éducative. C’est peut-être une clé d’explication du clivage constaté sur l’apprentissage : la mission centrale de l’Université serait accomplie, représentant à la fois un risque de dévoiement et une opportunité de réinvention pour faire de l’ESR le fer de lance face aux grands enjeux démocratiques, économiques et climatiques de notre siècle.
Même si cette question peut structurer tout notre appareil de formation et de recherche, in fine, la réponse dépend – et éclaire – surtout plus largement des orientations politiques de notre nation. Elle n’a cependant pas été abordée lors de cette campagne.
Cet article est publié en partenariat avec The Conversation sous licence Creative Commons.