La présidentielle, jour après jour



La droite radicale : l’ordinaire s’est imposé

Florent Gougou
12 Avril 2022


Avec un troisième pour le second tour, l'extrême droite française s'impose comme une force structurante de l'espace politique français. Entre les deux tours, Florent Gougou analyse les résultats Marine Le Pen au premier tour et anticipe ce qu'il pourrait advenir au deuxième.

Ce n’est plus une surprise. Pour la deuxième fois consécutive, Marine Le Pen participera au second tour de l’élection présidentielle. Pour la troisième fois sur les cinq dernières présidentielles, la droite radicale sera en situation d’accéder à l’Elysée. Le 21 avril 2002, la sidération dominait. Lé 22 avril 2017, la banalité se profilait. Le 10 avril 2022, l’ordinaire s’est imposé.

Les contours d’un nouveau monde politique se dessinent. Pour la deuxième fois consécutive, Marine Le Pen retrouvera Emmanuel Macron au second tour. L’opposition entre « mondialistes » et « nationaux », pour reprendre les termes de la candidate du Rassemblement national (RN), entre « progressistes » et « nationalistes », pour reprendre les termes du Président de la République sortant, semble être devenue la principale ligne d’affrontement dans la vie politique française. Imposer ce nouveau dualisme était un objectif assumé (et partagé) par les deux protagonistes depuis 2017. Les résultats du premier tour de la présidentielle ont brutalement rappelé aux forces de gauche, une nouvelle fois écartées du second tour, qu’ils sont en passe d’y parvenir.

Des résultats électoraux historiques

Avec plus de 23 % des suffrages, Marine Le Pen réalise la meilleure performance d’une candidature de droite radicale à l’élection présidentielle, progressant de 2 points par rapport à son score de 2017. Mais surtout, en ajoutant les quelques 7 % rassemblés par Éric Zemmour (Reconquête !), les forces de droite radicale franchissent le seuil des 30 %, seuil qu’elles n’avaient jamais atteint en France, tous types de scrutins confondus. Le premier tour de la présidentielle de 2022 constitue un nouveau point haut dans la dynamique ouverte depuis les européennes de 2014, quand les listes Front national avaient pour la première fois dépassé la barre des 20 %.

La dynamique de la droite radicale s’appuie sur trois mouvements principaux, qui indiquent une forme de complémentarité entre la candidature de Marine Le Pen et la candidature d’Éric Zemmour. Premier mouvement, l’accentuation de la domination de Marine Le Pen dans ses fiefs ouvriers situés au nord et à l’est du pays. En 2017, l’Aisne, le Pas-de-Calais et la Haute-Marne étaient les trois départements les plus favorables à Marine Le Pen ; en 2022, elle progresse encore dans ces départements pour atteindre respectivement 39,3 % (+3,6 points), 38,7 % (+4,4 points) et 36,6 % (+3,4). Deuxième mouvement, des transferts significatifs de la fraction rurale de l’électorat Fillon de 2017, notamment dans l’ouest du pays. Dans la Sarthe, en Mayenne et en Vendée, où François Fillon avait systématiquement obtenu plus de 25 % en 2017 et où Valérie Pécresse s’effondre autour de 5 %, Marine Le Pen progresse respectivement de 6,9 points (27,7 %), 5,5 points (22,4 %) et 4,7 points (23,2 %), tandis qu’Éric Zemmour y obtient entre 5 et 6 %. Troisième mouvement, l’attraction Zemmour au sein de la fraction aisée de la droite classique. La dynamique est particulièrement évidente dans le XVIème arrondissement de Paris, où le candidat de Reconquête obtient 17,5 % alors que Marine Le Pen y reste marginalisée à 5,8 %.

Comment Marine Le Pen s’est imposée à Éric Zemmour

De fait, la candidature d’Éric Zemmour n’a pas constitué un handicap insurmontable pour la candidate du RN. Certes, dans la fraction la plus droitière de son électorat, notamment dans le sud du pays, Marine Le Pen souffre de la concurrence du polémiste : dans le Vaucluse, elle recule de 1,1 point (à 29,4 %) sur son score de 2017 tandis qu’Éric Zemmour obtient 10 % ; dans le Var, elle reste stable (30,4 % n 2017, 30,6 % en 2022) tandis qu’Éric Zemmour obtient 13,3 %. Mais au final, elle devance son concurrent de plus de 15 points sur l’ensemble du territoire et pourrait bénéficier au second tour d’un nouvel apport de voix issu de fractions de l’électorat qui lui étaient jusque-là inaccessibles.

La compétition entre Marine Le Pen et Éric Zemmour pour le leadership sur le pôle de droite radicale a été un des éléments majeurs de la pré-campagne, à l’automne 2021. Contrairement à l’analyse devenue dominante, la dynamique favorable à Éric Zemmour n’était pas qu’une construction médiatique : elle correspondait d’abord à la conviction d’une fraction significative de l’électorat conservateur-identitaire et d’une partie des responsables de droite radicale de l’incapacité de Marine Le Pen à remporter un jour l’élection présidentielle. De ce point de vue, Marine Le Pen a su, pendant la campagne, écarter le spectre de son entre-deux-tours manqué de 2017 : en investissant très tôt le thème du pouvoir d’achat, et bien avant qu’il ne devienne la préoccupation majeure des Français, elle a fait preuve d’un sens politique qui lui a permis de prendre un avantage décisif sur Éric Zemmour au moment où la campagne se décantait.

À la veille du 10 avril, Marine Le Pen apparaissait ainsi comme l’alternative la plus crédible à Emmanuel Macron. Dans la toute dernière vague de l’Enquête Électorale Française (EnEF), dont Le Monde est un des commanditaires, 30 % des sondés indiquaient qu’elle « ferait mieux » que le Président sortant si elle était en fonction. Sur cet indicateur, elle devançait tous les autres compétiteurs, de Jean-Luc Mélenchon (22 % estimaient qu’il « ferait mieux ») à Éric Zemmour (18 %) en passant par Valérie Pécresse (11 %). Des perspectives de second tour contrastées

Le second tour se profile désormais. Compte tenu des rapports de force électoraux du premier tour, et en particulier de la poussée de l’ensemble de la droite radicale, il est probable que le résultat soit bien plus serré qu’en 2017 : avec 33,9 %. Marine Le Pen avait été nettement battue.

Les faiblesses de la candidate du RN restent cependant les mêmes. Pour l’immense majorité du corps électoral, Marine Le Pen se situe toujours à l’extrême-droite du champ partisan. Dans la dernière vague de l’EnEF, son positionnement moyen sur une échelle gauche-droite où 0 signifie « très à gauche » et 10 « très à droite » est de 8,8. Certes, son positionnement moyen par les sondés en avril 2017 était de 9,2. Certes, elle a pu paraître normalisée par Éric Zemmour, dont le positionnement moyen était de 9,1. Certes, elle a obtenu des ralliements au cours de la soirée du 10 avril, confirmant qu’elle n’est plus aussi ostracisée. Mais les appels à faire barrage à l’extrême-droite sont restés le thème dominant de la soirée, en attendant les deux semaines à venir.