L’intégration européenne peut-elle être un enjeu déterminant pour l’élection ?
Cyrille Thiébaut
19 Avril 2022
Bien que les deux finalistes de l'élection présidentielle 2022 défendent des positions opposées sur l'intégration européenne, cette question n'est presque pas évoquée depuis le début de la campagne. Spécialiste de l'Europe, Cyrille Thiébaut revient sur les raisons expliquant le peu d'intérêt porté à l'Europe dans cette campagne.
Depuis la signature du traité de Maastricht en 1991, l’Union européenne (UE) a changé de nature : d’économique, elle est devenue une union politique, dont l’autorité et les compétences se sont progressivement accrues.
Les décennies qui ont suivi ont vu l’enjeu européen se politiser au gré des référendums (notamment sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005 et le Brexit en 2016) et des crises économiques et migratoires des années 2010. Ainsi, l’UE a gagné en visibilité et le débat sur l’intégration européenne s’est intensifié et polarisé.
Dans ces conditions, on pouvait s’attendre à ce que l’UE importe dans les élections présidentielles de 2022, et ce d’autant plus au regard du contexte. Tout d’abord, celui de la campagne électorale elle-même, dans la mesure où le président-candidat Emmanuel Macron revendique explicitement sa position pro-européenne. Au contraire, ses principaux opposants, Marine Le Pen (RN) et Jean-Luc Mélenchon (LFI), se caractérisent par leur opposition à l’UE, ou à tout le moins, à l’UE telle qu’elle est et se fait. En outre, ces élections se tiennent alors que la France préside pour six mois le Conseil de l’UE, et que la guerre en Ukraine pose à nouveau la question de son rôle sur la scène internationale. Enfin, la pandémie de Covid-19, qui a marqué les deux dernières années du mandat d’Emmanuel Macron, a aussi été l’occasion pour l’Union de gagner en visibilité et en compétences, en particulier grâce aux mesures qu’elle a prises afin d’atténuer l’impact économique de la crise.
Dans ces conditions, l’Union européenne est-elle un enjeu qui pourrait peser sur les résultats du second tour ?
L’Union européenne dans les programmes
La première question qui se pose est de savoir si l’enjeu européen est clivant. Le débat sur l’UE peut porter soit sur le principe de l’intégration lui-même, soit sur les politiques concrètes de l’UE.
Dans ce dernier cas, les candidats des partis gouvernementaux s’accordent généralement sur la nécessité de réformer l’UE, mais ils diffèrent sur les modalités et la répartition des compétences entre les niveaux national et européen. La politisation de l’Europe implique alors un clivage entre la gauche et la droite, entre une Europe sociale et une Europe libérale notamment, mais aussi entre une Europe plus ou moins intégrée politiquement.
Par exemple, dans le programme d’EELV, Yannick Jadot appelait à la révision des traités pour avancer vers une « Europe fédérale » et une « Europe sociale », ainsi qu’à l’adoption d’un « traité environnemental européen ». En face, Valérie Pécresse (LR) abordait peu l’UE dans son programme, mais elle y défendait « une Europe forte » dans laquelle les accords de Schengen seraient renégociés et le processus d’adhésion de la Turquie stoppé. Toutefois, on peut douter que ces différences, bien réelles, soient clivantes dans le cadre d’une élection nationale où d’autres enjeux plus visibles font débat.
En revanche, dans le premier cas, le débat sur l’Union européenne oppose généralement les candidats europhiles des partis dits gouvernementaux aux candidats eurosceptiques des partis aux extrêmes. La politisation de l’UE implique alors un clivage entre les pro- et les anti-UE. Ainsi, dans son programme, Emmanuel Macron défend la vision d’une Europe autonome d’un point de vue énergétique, technologique et stratégique. Derrière ce projet, on retrouve la vision forte de l’UE qu’il a défendue au cours de son quinquennat. À l’inverse, l’Europe est quasi-absente du programme officiel de Marine Le Pen.
Si l’on sait par ailleurs qu’elle a renoncé à une sortie de l’UE et de l’euro, afin de « réformer l’Union européenne de l’intérieur », sa vision d’une « Europe des Nations libres et souveraines » revient cependant à remettre en cause l’union politique telle qu’elle se construit depuis Maastricht. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a également renoncé à la sortie de la France des traités de l’UE, mais revendiquait une stratégie de « désobéissance » (par exemple, en suspendant la participation du pays à certains programmes) et de révision des traités en vue d’assurer l’indépendance de la France.
L’opinion publique sur l’Union européenne
Dans la mesure où les candidats arrivés en tête du premier tour tiennent des positions opposées sur l’intégration européenne, la seconde question qu’il se pose est de savoir où se situent les Français sur cet enjeu. Afin de mieux se représenter l’évolution de l’opinion publique française, il est possible d’agréger les multiples indicateurs sondagiers disponibles, afin de construire un indice longitudinal de préférence unique sur l’intégration européenne, ou European Mood.
Nous observons que le soutien à la construction européenne s’est affaibli depuis l’adoption du traité de Maastricht, jusqu’à passer sous la barre des 50 % en 2011 et atteindre son niveau le plus bas (44,7 %) en 2016. Toutefois, au cours du mandat d’Emmanuel Macron, le soutien est remonté : sans être important (52,5 % en 2021), il est redevenu majoritaire.
Si nous regardons plus en détail les préférences de l’opinion française, nous observons qu’elles sont là encore plutôt favorables à Emmanuel Macron. Ainsi, d’après les données eupinions, depuis 2019, plus de 65 % de l’opinion voterait pour rester dans l’UE si un référendum était organisé sur le sujet, atteignant même 73 % en mars 2022 à la veille du premier tour. Ceci peut d’ailleurs expliquer que Marine Le Pen ait renoncé à un « Frexit » explicite. En revanche, environ 40 % des répondants souhaitent moins d’intégration politique et économique en Europe, alors que la même proportion en souhaite plus, ce qui confirme que les opinions du public envers l’UE sont mitigées. Là encore, le soutien à une intégration plus poussée a toutefois augmenté ces dernières années, ce qui pourrait donner un léger avantage au candidat LREM.
Enfin, si nous nous intéressons à trois mesures symboliques de l’UE, l’opinion française tient là encore une position plutôt pro-européenne, si ce n’est en ce qui concerne tout futur élargissement de l’UE auquel elle s’oppose fortement. En revanche, elle apparaît majoritairement attachée à l’union économique et monétaire et à la libre circulation des citoyens de l’UE.
En résumé, quand il s’agit d’intégration européenne, l’opinion française a des préférences mitigées, bien qu’une tendance plutôt favorable à l’UE, et donc au président sortant, se dégage. Toutefois, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon – arrivé en troisième position au premier tour – pourraient, sur ce sujet, se sentir plus proches des positions de Marine Le Pen que de celles d’Emmanuel Macron.
L’Union européenne dans la campagne
Néanmoins, ces préférences mitigées n’importeront que si l’UE est sur l’agenda. De ce point de vue, on observe une différence entre les stratégies des candidats arrivés au second tour quant à l’importance à lui accorder dans leur campagne. Dans son discours du 12 avril 2022 à Strasbourg, Emmanuel Macron est allé jusqu’à annoncer que « l’élection est aussi un référendum sur l’Europe », politisant ainsi fortement l’enjeu. Il semble compter sur le soutien de l’opinion à l’Europe pour rassembler les électeurs.
Marine Le Pen, au contraire, a choisi de minimiser l’enjeu en l’abordant le moins possible. Elle a présenté sa position dans une conférence de presse portant sur les grands axes de la politique internationale qu’elle propose le 13 avril. Comme dans son programme, l’UE a occupé peu de place dans son exposé : il semblerait qu’elle reconnaisse la difficulté de porter ses positions traditionnelles sur le sujet, qui ne semblent pas en phase avec l’opinion dans le contexte actuel. Cette stratégie pourrait porter ses fruits dans la mesure où l’Europe n’est pas une préoccupation prioritaire du public, pour qui le pouvoir d’achat surtout, puis l’environnement, le système de santé, l’immigration et les retraites importent bien plus.
Cet article est publié en partenariat avec The Conversation sous licence Creative Commons.