Doléances climatiques: que nous apprend le Grand Débat sur l'opinion publique en matière de changement climatique?
Nicolas Schmid
,
Benjamin Guinaudeau
20 Avril 2022
Lutter efficacement contre le dérèglement climatique requiert le soutien de l'opinion publique. Mais quelles solutions potentielles sont préférées par les citoyens? Nicolas Schmid et Benjamin Guinaudeau reviennent sur les solutions mises en avant par les citoyens lors du Grand Débat National.
Le rapport actuel du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est sans équivoque : sans réduction immédiate et drastique des émissions de gaz à effet de serre, le monde se dirige vers un désastre climatique irréversible. Cette réduction requiert une action collective ambitieuse et rapide portée par les acteurs publics. Dans ce contexte, chaque élection compte et joue un rôle déterminant pour l’avenir climatique. L’élection présidentielle Française de 2022 ne fait pas exception. Et pourtant, les débats autour de l’action climatique sont restés vagues et limités.
Les candidats en lice défendaient pourtant des solutions climatiques différentes. Avec l’ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050, les programmes de Yannick Jadot et de Jean-Luc Mélenchon proposaient les mesures les plus ambitieuses. (Relisez l’article de Ettie Hattaway et Simon Persico synthétisant les propositions en matière d’écologie). S’ils s’accordent sur l’expansion du nucléaire, les deux finalistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, divergent, on a encore pu le constater au cours du débat d’entre-deux-tours, sur la question des énergies renouvelables. Emmanuel Macron s’est fixé pour objectif de décupler l’énergie solaire installée d’ici 2050 et de réaliser 50 parcs éoliens offshore. Dans le secteur du transport, son programme électoral envisage la production sur le sol français de millions de voitures électriques et du premier avion à faible émissions. Marine Le Pen, en revanche, entend stopper le développement de l’éolien offshore et même réduire progressivement les installations. De manière générale, elle juge que le soutien public aux énergies renouvelables doit être réduit.
Quelles que soient les options retenues par l’industrie et les pouvoirs publics pour limiter les dégâts du changement climatique, une action publique efficace semble inenvisageable sans le soutien de l’opinion publique. Qu’en est-il en France ?
Dans une étude récemment parue dans Environmental Research letter, nous montrons non seulement qu’une majorité de répondants considèrent le changement climatique comme un défi environnemental clé, mais aussi que le soutien aux solutions ambitieuses est largement répandu. Ces conclusions, qui corroborent la priorité accordée par les Français aux questions climatiques dans les sondages (voir par exemple les enquêtes IPSOS), s’appuient sur l’analyse des données produites lors du Grand Débat National : une consultation d’ampleur inégalée et menée par le gouvernement français en 2019, en réponse au mouvement des gilets jaunes. À cette occasion, tous les citoyens français furent invités à partager leur opinion à propos de quatre grands défis contemporains : la transition écologique, la fiscalité, la démocratie et l’organisation des services publics.
Après avoir collecté les dizaines de milliers de contributions sur la transition écologique, nous avons développé des outils d’analyse textuelle automatisée permettant de restituer les grandes lignes des opinions exprimées en la matière. Notre étude, s’intéresse particulièrement au détail des solutions prônées par les répondants et permet d’observer quelles solutions sont spontanément envisagées 1.
Nos données révèlent que les secteurs du transport et de l’énergie sont perçus comme particulièrement cruciaux dans la lutte contre le changement climatique – par comparaison, par exemple, avec les secteurs agricoles et du bâtiment, qui sont moins souvent évoqués.
Par ailleurs, une majorité des participants soutient un remplacement des technologies existantes par des alternatives non polluantes. Par exemple, il s’agirait moins d’améliorer l’efficacité des chaudières thermiques que, de façon plus radicale, de les remplacer par des pompes à chaleurs ou des chauffe-eau solaires. Les solutions climatiques visant à la sobriété énergétique, comme la réduction du parc automobile ou le développement du covoiturage, sont beaucoup moins souvent évoquées.
Un examen plus approfondi des secteurs du transport et de l’énergie montre que certaines solutions climatiques sont beaucoup plus souvent mentionnées que d’autres. Comme le montre l’illustration ci-dessous, la plupart des contributeurs sont favorables à la réduction des voyages en avion au profit d’autres modes de transport tels que les trains ou les bus.
Si la plupart des solutions font l’objet de mentions unanimement positives, deux exceptions sont à relever. Tout d’abord, le rôle de l’électrification des transports privés en voiture apparaît extrêmement controversé : environ la moitié des répondants mentionnant cette solution pour la dénoncer comme une « fausse bonne idée ». Les participants sont également polarisés sur la question du nucléaire, avec 50% de mentions favorables pour 50% de mentions sous un angle critique.
En conclusion, lorsqu’ils sont interrogés sur les solutions pour endiguer le changement climatique, les préférences des citoyens sont différenciées. Dans la plupart des cas, ces préférences se traduisent en termes de priorités. Il est intéressant de noter que les mesures phares d’Emmanuel Macron en matière d’écologie – relancer la production nucléaire et augmenter la production de voitures électriques – sont certes chacune très souvent évoquées, mais aussi particulièrement controversées. S’il avait voulu répondre aux doléances exprimées lors du Grand Débat National, le président-candidat aurait pu reprendre des mesures telles que la réduction du trafic aérien sur les courtes distances ou l’amélioration du réseau ferré régional. Quoiqu’il en soit, le peu d’attention porté à l’écologie n’incite aucun candidat à la présidentielle à formuler des propositions précises répondant à l’urgence de la situation et aux opinions publiques exprimées.
Après l’échec de la convention citoyenne pour le climat et malgré l’ambition annoncée, le volet climatique du Grand Débat national apparaît comme une vitrine démocratique plutôt qu’un réel recentrement de la politique climatique autour des attentes citoyennes. Bien que la campagne présidentielle 2022 soit de mauvais augure quant à la réactivité de la politique climatique du prochain quinquennat, le nouvel exécutif aura l’occasion de réduire l’écart entre revendications citoyennes et mesures politiques concrètes. Comme nous dit le GIEC, l’heure des actions concrètes et ambitieuses est arrivée.
La participation à la consultation étant volontaire, il est difficile d’estimer la représentativité de l’échantillon. La prudence s’impose donc quant au potentiel de généralisation de nos résultats. Une étude a montré que le participant type était plus instruit et plus aisé que la moyenne. Ces données demeurent cependant une occasion inédite d’explorer un segment particulièrement mobilisé de l’opinion publique française qui semble particulièrement intéressant du point de vue de la faisabilité des politiques climatiques. ↩︎